Publié le: 18/04/2025
Une analyse linguistique et historique remet en question les traductions traditionnelles et soulève de nouvelles perspectives spirituelles
Depuis l’Antiquité, de nombreuses plantes ont été associées à des pratiques religieuses et spirituelles, jouant un rôle essentiel dans les rites, les traditions et les textes fondateurs des grandes civilisations. Mais que se passe-t-il lorsqu’une d’entre elles, aujourd’hui au centre de débats juridiques et sociaux, semble être mentionnée dans les Écritures ?
L’idée que le cannabis puisse être présent dans la Bible, d’une manière ou d’une autre, suscite à la fois fascination et controverse.
Entre analyses linguistiques, interprétations historiques et considérations botaniques, certaines théories suggèrent que cette plante aurait pu occuper une place particulière dans les pratiques rituelles de l’Antiquité.
Mais ces hypothèses sont-elles fondées sur des preuves concrètes ou sur des extrapolations modernes ?
L’exploration de cette question nous amène à reconsidérer notre lecture des textes anciens et la façon dont nous comprenons le rôle des substances végétales dans l’histoire spirituelle et culturelle.
Cet article de Justbob propose une réflexion approfondie sur la présence possible de cannabis dans la Bible, en se basant sur des éléments historiques et philologiques pour distinguer le mythe de la réalité.
Le mystère linguistique de « Kaneh Bosm » : un nom de code pour le cannabis ?
Le point de départ de cette enquête biblique sur le cannabis réside dans une expression hébraïque énigmatique : « kaneh bosm ». Cette locution apparaît à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament, en particulier dans des passages clés qui décrivent la composition du saint chrême, l’huile sacrée pour l’onction utilisée pour consacrer les prêtres, le Tabernacle et plus tard le Temple de Jérusalem.
Dans les années 1930, l’étymologiste d’origine polonaise Sula Benet a formulé l’hypothèse audacieuse que « kaneh bosm » ne désignait ni plus ni moins que le cannabis.
Cette affirmation est basée sur une analyse linguistique approfondie. « Kaneh » (קנה) signifie en hébreu canne, roseau ou tige, un terme générique qui peut désigner diverses plantes herbacées. « Bosm » (בשם) est associé à l’idée de parfum, d’arôme agréable, de douceur. En combinant ces deux éléments, « kaneh bosm » pourrait être littéralement traduit par « canne aromatique » ou « canne parfumée ».
Mais l’argumentation de Benet ne s’arrête pas à cette traduction littérale. Il souligne que le terme « kaneh bosm » est phonétiquement très similaire au mot « cannabis » que l’on trouve dans de nombreuses langues indo-européennes, du grec « kannabis » au scythe « kanap ».
Cette similitude phonétique, ainsi que la nature aromatique et potentiellement psychoactive du cannabis, ont conduit Benet et ses successeurs à suggérer que les traducteurs bibliques, au fil des siècles, auraient volontairement ou involontairement remplacé « kaneh bosm » par des termes moins controversés ou plus familiers à leur époque, tels que « calamus » ou « roseau odorant ».
Il est essentiel de noter que la traduction de textes anciens est un processus complexe, souvent influencé par les préjugés culturels et religieux des traducteurs. Par conséquent, l’idée que « kaneh bosm » ait pu être délibérément caché ou mal interprété ne peut être exclue a priori.
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Le Saint Chrême et ses composants mystérieux : « Kaneh Bosm » au centre de l’onction sacrée
Le livre de l’Exode décrit avec précision la recette du saint chrême (en hébreu « shemen ha-mishchah »), une huile sacrée dont l’usage était strictement réservé aux rituels religieux les plus importants. Selon le texte biblique, cette huile devait être composée de quatre ingrédients principaux : la précieuse myrrhe, le cannelle aromatique, le kaneh bosm et la casse. Chacun de ces ingrédients est mentionné avec des quantités spécifiques, soulignant l’importance de respecter scrupuleusement la formule divine.
La mention de « kaneh bosm » dans cette liste d’arômes précieux renforce l’idée que cette plante était considérée comme très précieuse et digne d’être incluse dans la composition de l’huile sainte.
Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle « kaneh bosm » fait référence au cannabis, cela soulève des questions fascinantes sur la nature et la fonction du saint chrême. Grâce à ses propriétés psychoactives et potentiellement médicinales, le cannabis aurait pu conférer à l’huile de l’onction des propriétés exceptionnelles, qui allaient au-delà du simple parfum agréable.
L’onction avec le saint chrême était un acte de consécration, de séparation du profane et d’entrée dans le sacré. Elle marquait une transformation, une élévation spirituelle. Dans ce contexte, l’ajout de cannabis au saint chrême pourrait avoir eu pour but de faciliter cet état modifié de conscience, de favoriser l’expérience mystique et la communication avec le divin.
Il est important de souligner que dans de nombreuses cultures anciennes, les plantes psychoactives étaient utilisées dans un contexte rituel et spirituel, perçues comme des médiateurs entre le monde terrestre et le monde spirituel. L’hypothèse de la présence de cannabis dans le Saint Chrême s’inscrit dans cette perspective anthropologique plus large.
Cependant, il est essentiel de prendre en compte les contre-arguments à cette interprétation.
Les traducteurs traditionnels de la Bible ont généralement identifié le « kaneh bosm » avec le calamus aromatique (Acorus calamus), une plante herbacée au parfum suave, mais dépourvue de propriétés psychoactives significatives.
D’autres interprétations ont suggéré le roseau odorant (Cymbopogon martinii) ou le gingembre. Ces alternatives s’appuient souvent sur des arguments botaniques et linguistiques, soulignant que le calamus était une plante connue et utilisée dans l’Égypte ancienne et au Proche-Orient, et que son parfum correspondrait à la description de « bosm ».
La question de l’identification exacte du « kaneh bosm » reste donc discutable et complexe.
Références bibliques aux plantes aromatiques : au-delà du Saint-Chrême, un parfum divin ?
Si la question du « kaneh bosm » dans le Saint-Chrême est centrale, il est important de ne pas limiter notre exploration de la présence potentielle du cannabis dans la Bible à cette seule partie. D’autres textes bibliques mentionnent des plantes aromatiques et des parfums, souvent associés à des contextes rituels, médicinaux ou symboliques. L’étude de ces références peut nous aider à mieux comprendre le rôle des plantes, et en particulier des plantes potentiellement psychoactives, dans l’imaginaire et la pratique religieuse de l’époque biblique.
Le livre d’Isaïe critique le peuple d’Israël pour son manque de dévotion, lui reprochant de ne pas avoir apporté à Dieu « l’encens » et de ne pas l’avoir rassasié avec la graisse de leurs sacrifices.
Bien qu’il s’agisse d’une réprimande, ce passage confirme l’importance de la « canne aromatique » dans le culte divin. Il suggère que cette plante était attendue comme une offrande agréable à Dieu, un élément essentiel du rituel religieux.
Le Cantique des Cantiques, poème d’amour et célébration de la nature, mentionne également « la myrrhe et l’aloès, avec tous les arbres à encens, le cinnamome et le roseau aromatique, avec tous les plus fins aromates ». Ici, le « roseau aromatique » est inclus dans une liste de plantes précieuses et exotiques, ce qui souligne sa valeur et son parfum exceptionnel.
Ces références, bien que moins directes que celle du Saint-Chrême, contribuent à tisser un réseau d’indices suggérant que le « roseau aromatique », potentiellement le cannabis, occupait une place importante dans le monde biblique.
Outre les mentions explicites, il est également important de prendre en compte le contexte culturel et géographique de la Bible.
L’ancien Proche-Orient était une région riche en plantes aromatiques et médicinales, et les populations locales avaient une connaissance approfondie de leurs propriétés. L’utilisation des plantes à des fins rituelles, médicinales et récréatives était largement répandue. Dans ce contexte, il serait surprenant que le cannabis, une plante connue et cultivée dans la région depuis des millénaires, ait été complètement ignoré par les auteurs bibliques.
Utilisations rituelles et spirituelles du cannabis au cours de l’histoire : une analogie pertinente ?
Pour évaluer la plausibilité de l’hypothèse de la présence de cannabis dans la Bible, il est instructif de se tourner vers d’autres cultures anciennes et d’examiner les usages rituels et spirituels qui étaient associés à cette plante. L’archéologie et l’anthropologie ont démontré que le cannabis était utilisé à des fins rituelles et spirituelles dans diverses civilisations à travers le monde, souvent dans un contexte religieux ou chamanique.
En Asie centrale, des découvertes archéologiques ont révélé l’utilisation de la plante dans des rites funéraires datant de plusieurs millénaires avant notre ère.
Dans l’Inde ancienne, le cannabis, appelé « bhang », était associé au dieu Shiva et utilisé lors des cérémonies religieuses. Les Scythes, peuple nomade des steppes eurasiennes, pratiquaient également des bains de vapeur au cannabis à des fins rituelles et purificatrices, comme en témoigne Hérodote.
Ces exemples, parmi d’autres, démontrent que l’utilisation du cannabis dans un contexte spirituel n’est pas une invention moderne, mais une pratique ancrée dans l’histoire de l’humanité.
Arguments contre l’identification du cannabis biblique : une révision critique nécessaire
Malgré les arguments en faveur de l’hypothèse selon laquelle le cannabis est présent dans la Bible, il est indispensable de prendre en compte les objections et les contre-arguments soulevés par les chercheurs et les traducteurs traditionnels. Ces critiques portent sur différents aspects, allant de la linguistique à la botanique, en passant par le contexte historique et religieux.
L’argument le plus fréquemment avancé contre l’identification du « kaneh bosm » au cannabis est d’ordre linguistique.
Si la similitude phonétique avec « cannabis » est indéniable, de nombreux linguistes soulignent que cette similitude pourrait être une simple coïncidence. Ils insistent sur le fait que le terme « kaneh bosm » est bien établi dans la langue hébraïque et est traditionnellement associé à des plantes aromatiques autres que le cannabis.
De plus, s’il s’agissait bien de cette plante, les propriétés psychoactives du cannabis n’auraient-elles pas dû être mentionnées ou implicitement suggérées dans les textes bibliques ?
L’absence de toute référence explicite aux effets du cannabis dans la Bible est souvent interprétée comme un argument contre cette identification.
Enfin, il est important de prendre en compte le contexte religieux et moral dans lequel la Bible a été écrite et interprétée.
Les traditions juives et chrétiennes ont souvent privilégié une approche ascétique et moralisatrice de la spiritualité, en mettant l’accent sur la maîtrise de soi et la sobriété. L’idée d’une plante psychoactive intégrée dans un rituel religieux peut sembler incompatible avec cette vision du monde.
Cependant, il est important de ne pas projeter nos conceptions modernes sur la civilisation antique. Les attitudes envers les plantes psychoactives pouvaient être différentes dans l’Antiquité, et il est possible que leur utilisation rituelle ait été perçue comme compatible avec la spiritualité, voire comme un moyen de l’approfondir.
Implications théologiques et contemporaines : vers une relecture du texte sacré ?
La question de la présence potentielle de cannabis dans la Bible, et en particulier dans le Saint Chrême, ne se limite pas à une curiosité historique ou linguistique. Elle soulève des questions plus larges, liées à notre compréhension des textes sacrés, de la spiritualité et de notre rapport au monde végétal. Si l’hypothèse selon laquelle le kaneh bosm désignerait le cannabis s’avérait fondée, cela impliquerait une relecture de certains passages bibliques et une réévaluation du rôle des plantes psychoactives dans la tradition judéo-chrétienne.
Cela ouvrirait la voie à une réflexion sur la façon dont ces substances ont été perçues à différentes époques, oscillant entre usage sacré, interdiction morale et réhabilitation scientifique.
Dans notre société contemporaine, le débat sur le cannabis ne se limite pas à ses effets psychoactifs, mais s’étend également à des variétés qui ne possèdent pas ces propriétés, comme le cannabis dit « light », sans effets stupéfiants et riche en CBD (cannabidiol).
Une variété qui n’est d’ailleurs pas encore tout à fait acceptée. Il suffit de regarder le paysage législatif actuel : en France, les produits contenant du CBD, comme l’huile de cannabidiol ou la beuh CBD et même le haschich dit « light », sont légalement disponibles, mais uniquement pour des usages spécifiques définis par la réglementation, à savoir le collectionnisme, la décoration ou l’aromathérapie. Leur consommation, en revanche, bien que dépourvue d’effets psychoactifs, reste aujourd’hui encore interdite.
Dans un contexte où les sociétés occidentales s’interrogent sur les implications médicales, sociales et éthiques de la consommation de cannabis, la redécouverte d’une possible présence de cette plante dans la Bible invite à dépasser les jugements moralisateurs pour adopter une approche plus nuancée. Cela ne signifie pas qu’il faille approuver une consommation incontrôlée ou irresponsable de cannabis, mais plutôt ouvrir un espace de réflexion sur son potentiel thérapeutique, symbolique et culturel.
L’étude du kaneh bosm dans les textes bibliques contribue ainsi à alimenter un dialogue plus conscient, en plaçant le cannabis dans une perspective historique et spirituelle plus large. Plus généralement, elle nous invite à remettre en question notre rapport aux plantes, à la nature et aux interprétations que nous donnons aux textes anciens en fonction des contextes historiques et des sensibilités contemporaines.
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Entre mythe et réalité, un parcours de recherche ouvert
L’exploration de la présence potentielle de cannabis dans la Bible, à travers l’énigme de « kaneh bosm », nous a conduits dans un voyage fascinant à la croisée de la linguistique, de la botanique, de l’histoire et de la théologie.
Si l’hypothèse du cannabis biblique reste controversée et débattue, elle n’en est pas moins stimulante et pertinente dans le contexte contemporain.
Les arguments linguistiques, les références bibliques et les analogies culturelles plaident en faveur d’une identification possible de « kaneh bosm » avec le cannabis, ou du moins avec une plante aux propriétés similaires. Cependant, les objections et les contre-arguments, notamment d’ordre linguistique et botanique, ne doivent pas être négligés.
En définitive, la question de la présence du cannabis dans la Bible reste ouverte et complexe. Il invite à une relecture attentive et critique des textes sacrés, en tenant compte des contextes historiques, culturels et linguistiques. Il souligne également l’importance de ne pas projeter nos préjugés modernes sur la civilisation antique et de considérer la diversité des approches spirituelles et des usages des plantes au cours de l’histoire.
Au-delà de la question spécifique du cannabis, cette exploration nous amène à réfléchir plus largement à notre rapport à la nature, à la spiritualité et à la manière dont nous interprétons et nous réapproprions le patrimoine religieux.
Le cannabis dans la Bible : takeaways
- L’analyse linguistique et historique suggère que le terme hébraïque « kaneh bosm », mentionné dans l’Ancien Testament, pourrait désigner le cannabis et non le calamus aromatique comme l’ont souvent interprété les traducteurs bibliques. La proximité phonétique avec le mot « cannabis » dans plusieurs langues anciennes renforce cette hypothèse, bien que des divergences subsistent quant à son identification botanique précise.
- Si l’on accepte l’idée que « kaneh bosm » fait référence au cannabis, cela implique que cette plante aurait pu jouer un rôle central dans la composition du saint chrême et dans certaines pratiques d’onction sacrée. Son inclusion dans des préparations rituelles soulève la possibilité que ses propriétés psychoactives aient été utilisées pour faciliter des expériences spirituelles et mystiques, à l’instar d’autres traditions anciennes intégrant des plantes aux effets similaires.
- L’étude du cannabis dans la Bible illustre la manière dont les traductions et interprétations des textes sacrés ont pu être influencées par des considérations culturelles et religieuses. Au-delà de l’aspect historique, cette réflexion pose la question plus large de notre rapport aux substances végétales et de leur rôle dans les traditions spirituelles. Dans un contexte où le débat sur le cannabis est toujours d’actualité, cette approche permet d’adopter une vision plus nuancée et de reconsidérer certaines perspectives théologiques et sociétales.
Le cannabis dans la Bible : FAQ
Le cannabis est-il mentionné dans la Bible ?
Certaines recherches suggèrent que le terme hébraïque « kaneh bosm » pourrait faire référence au cannabis. Ce terme apparaît dans l’Ancien Testament, notamment dans la composition du saint chrême, une huile sacrée utilisée pour les onctions rituelles. Toutefois, cette interprétation reste débattue, et d’autres traductions évoquent plutôt le calamus aromatique ou d’autres plantes parfumées.
Quelle est l’origine de l’hypothèse selon laquelle le « kaneh bosm » désigne le cannabis ?
L’hypothèse a été popularisée par l’étymologiste Sula Benet dans les années 1930. Elle repose sur une analyse linguistique comparant « kaneh bosm » avec le mot cannabis dans diverses langues anciennes. Cette hypothèse s’appuie également sur les propriétés aromatiques et psychoactives du cannabis, qui auraient pu être utilisées à des fins rituelles dans l’Antiquité.
Le cannabis aurait-il été utilisé dans les rituels religieux de l’Antiquité ?
Des preuves archéologiques montrent que le cannabis était utilisé dans divers contextes religieux et spirituels dans l’Antiquité, notamment en Asie centrale, chez les Scythes et en Inde, où il était associé à des pratiques chamaniques et divinatoires. Si son usage dans les rituels hébraïques reste hypothétique, il est plausible que certaines plantes aux effets similaires aient été employées pour favoriser des états de conscience modifiés dans les pratiques religieuses.